"La honte"
ou
l'hostie d'Annie Ernaux
«Ce faisant, je vise peut-être à dissoudre la scène indicible de mes douze ans dans la généralité des lois et du langage. Peut-être s’agit-il encore de cette chose folle et mortelle, insufflée par ces mots d’un missel qui m’est désormais illisible, d’un rituel que ma réflexion place à côté de n’importe quel cérémonial vaudou, prenez et lisez car ceci est mon corps et mon sang qui sera versé pour vous.» ("La honte" de Annie Ernaux, p.41)
“La honte”
Ce livre-hostie d’Annie
qui colle à mon palais,
médicament au goût amer
qui brule la langue et la gorge …
Je la goûte pleinement
cette hostie.
Je la mâche méthodiquement.
Je relis.
Puis je referme.
Finalement je ré-ouvre en penser,
à partir de la fin;
défilement à l’envers,
image après image,
avec toute la force de ma volonté.
La chaleur monte dans mes jambes
par l'intensité de l'effort.
Cela commence avec «l'obus (...) sur le marché de Sarajevo».
Honte d’Annie
et fêlure de tous ceux qu’elle appelle à témoin ...
Elle a pour noms:
Hypocrisie
Mensonge
Mesquinerie
Dogmes
Rituels vides de sens
Violence déguisée
Violence non déguisée
Homme qui veut tuer celle qu'il aime
Femme qui harcèle celui qu'elle aime
Homme et femme qui trahissent leur fille
Institutions qui trahissent les enfants
Faux-semblants
Religion qui enchaîne
Pèlerinage touristique
Prière égoïste
Convivialité d’araignée
Carnaval des animaux
Femmes et hommes carnivores
Société inhumaine
A la barre, je convoque
tous les humains de la terre et d’ailleurs
à s’asseoir sur “Les chaises” de Ionesco,
pour témoigner de cette honte
de 1952 et d'aujourd'hui.
Avec Annie, j'ai honte
pour cette humanité crucifiée
dont je fais partie,
des deux côtés de la barre.
Tout cela, je le malaxe ...
consciencieusement ...
un morceau de notre humanité décadente,
un disque sombre,
fruit du sang et de la sueur des femmes et des hommes,
et je le moule en hostie circulaire,
lourde du mystère de l'humanité
qui cherche une issue à sa pesanteur
et à sa honte.
Et je me souviens...
d'elle, elle, Elle,
elles ...
Et tel un oiseau de mer repliant ses ailes ...
Je plonge mon regard dans les yeux
de celle qui m’a montré ce livre-hostie,
Je plonge mon regard dans les yeux
de celle qui m’accompagne sur le Chemin,
Je plonge mon regard dans les yeux
de Celle qui me guide depuis que mon fils m'a questionné,
vestales et Muse immenses qui me regardent de leurs yeux douloureux ...
Appel au plus profond de moi-même
De ma tête, la clarté des mots d'Annie ...
De mon coeur, la chaleur de la honte transmutée en compassion ...
De mes membres, le feu de la volonté ... de vie
Je plonge la lourde hostie-monde
dans ma propre blessure,
reliant ma fêlure à celle du monde,
ma souffrance à celle des autres,
témoignant avec A. et son livre-confession
que relier a encore un sens,
par delà les religions qui nous ont trahi(e)s
nous trahissent
et continueront de nous trahir,
telles des poupées Vaudou.
J'attends ...
... là ...
... dans cette souffrance inimaginable ...
j'attends,
je deviens hostie,
je m'offre totalement,
conscient de ma propre faiblesse,
honteux de ma finitude égoïste
et de mon infini égoïsme.
Guidé par Elles,
je me donne à Celui qui vient,
afin que je devienne 'Je suis' ... libéré du genre ...
...
...
...
Du tréfonds de ma blessure,
du coeur de ma souffrance,
une douce chaleur surgit,
accompagnée d'un rayonnement qui fait fondre les ténèbres.
Jaillissement des larmes
Fontaine qui guérit
Lumière
Joie
Force
Amour
Gratitude
Jean Dussygne
«La croix du Golgotha ne peut pas nous libérer du mal,
si elle n'est pas d'abord dressée en toi et moi.» ("Le voyageur chérubinique" de Angelus Silesius)
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