Thursday, January 21, 2021

"La honte" 

ou 

l'hostie d'Annie Ernaux


 «Ce faisant, je vise peut-être à dissoudre la scène indicible de mes douze ans dans la généralité des lois et du langage. Peut-être s’agit-il encore de cette chose folle et mortelle, insufflée par ces mots d’un missel qui m’est désormais illisible, d’un rituel que ma  réflexion place à côté de n’importe quel cérémonial vaudou, prenez et lisez car ceci est mon corps et mon sang qui sera versé pour vous.» ("La honte" de Annie Ernaux, p.41)





La honte

Ce livre-hostie d’Annie

qui colle à mon palais,

médicament au goût amer

qui brule la langue et la gorge …


Je la goûte pleinement

cette hostie.

Je la mâche méthodiquement.

Je relis.

Puis je referme.

Finalement je ré-ouvre en penser,

à partir de la fin;

défilement à l’envers,

image après image,

avec toute la force de ma volonté.

La chaleur monte dans mes jambes

par l'intensité de l'effort.

Cela commence avec «l'obus (...) sur le marché de Sarajevo».

Honte d’Annie

et fêlure de tous ceux qu’elle appelle à témoin ...

Elle a pour noms:

Hypocrisie

Mensonge

Mesquinerie

Dogmes

Rituels vides de sens

Violence déguisée

        Violence non déguisée

        Homme qui veut tuer celle qu'il aime

        Femme qui harcèle celui qu'elle aime

        Homme et femme qui trahissent leur fille

        Institutions qui trahissent les enfants

Faux-semblants

Religion qui enchaîne

Pèlerinage touristique

Prière égoïste

Convivialité d’araignée

Carnaval des animaux

Femmes et hommes carnivores

        Société inhumaine

A la barre, je convoque

tous les humains de la terre et d’ailleurs

à s’asseoir sur “Les chaises” de Ionesco,

pour témoigner de cette honte

de 1952 et d'aujourd'hui.

Avec Annie, j'ai honte

pour cette humanité crucifiée

dont je fais partie,

des deux côtés de la barre.


Tout cela, je le malaxe ...

consciencieusement ...

un morceau de notre humanité décadente,

un disque sombre,

fruit du sang et de la sueur des femmes et des hommes,

et je le moule en hostie circulaire,

lourde du mystère de l'humanité

qui cherche une issue à sa pesanteur

et à sa honte.


Et je me souviens...

    d'elle, elle, Elle,

    elles ...

Et tel un oiseau de mer repliant ses ailes ...


Je plonge mon regard dans les yeux 

    de celle qui m’a montré ce livre-hostie,

Je plonge mon regard dans les yeux 

    de celle qui m’accompagne sur le Chemin,

Je plonge mon regard dans les yeux

    de Celle qui me guide depuis que mon fils m'a questionné,

vestales et Muse immenses qui me regardent de leurs yeux douloureux ...


Appel au plus profond de moi-même


De ma tête, la clarté des mots d'Annie ...

De mon coeur, la chaleur de la honte transmutée en compassion ...

De mes membres, le feu de la volonté ... de vie


Je plonge la lourde hostie-monde

dans ma propre blessure,

reliant ma fêlure à celle du monde,

ma souffrance à celle des autres,

témoignant avec A. et son livre-confession

que relier a encore un sens, 

par delà les religions qui nous ont trahi(e)s

    nous trahissent

    et continueront de nous trahir,

    telles des poupées Vaudou.


J'attends ...

    ... là ...

    ... dans cette souffrance inimaginable ...

j'attends,

je deviens hostie,

je m'offre totalement,

conscient de ma propre faiblesse,

honteux de ma finitude égoïste 

et de mon infini égoïsme.

Guidé par Elles,

    je me donne à Celui qui vient,

        afin que je devienne 'Je suis' ... libéré du genre ...


...

...

...

Du tréfonds de ma blessure,

du coeur de ma souffrance,

une douce chaleur surgit,

accompagnée d'un rayonnement qui fait fondre les ténèbres.


Jaillissement des larmes

Fontaine qui guérit

Lumière

Joie

Force

Amour


Gratitude


Jean Dussygne


«La croix du Golgotha ne peut pas nous libérer du mal, 

si elle n'est pas d'abord dressée en toi et moi.» ("Le voyageur chérubinique"  de Angelus Silesius)

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